Un déplacement en moto au Musée de Plein Air de Villeneuve d’Ascq et "le tour fut jouet". C’est qu’il s’agit de jouets aussi, ici. Denys Losfeld que nous avons rencontré pour la première fois en ce mois de septembre a de multiples cordes à son arc, en plus de sa gentillesse et du firmament qui brille dans ses yeux.
A la recherche d'une nouvelle tête pour Alphonse.
Collage de kraft sur Alphonse
C’est d’abord un tourneur sur bois, qualité première qui nous a mené jusqu’à lui. Nous cherchions l’artisan qui devait créer la tête de notre Alphonse, notre futur mannequin de travail pour la mise en valeur de nos bandanas et pochettes de costume italiennes de luxe (les pochettes, s’entend). Merlin s’est attelé à cette tache à la portée de tous : la métamorphose d’un mannequin de mode boutique plus que quelconque, en polystyrène recouvert d’une « chaussette synthétique », en un mannequin « customisé » à façon. Delphine Gheerardyn nous avait aimablement prêté l’un de ses mannequins pour nos premières photos de bandanas mais il nous faut maintenant voler de nos propres ailes et trouver notre modèle fétiche. Une vaine chasse au mannequin sur internet et puis s’en vont la Vivienne et le Merlin. Nous n’avons pas trouvé chaussure à notre pied. Merlin décide donc de passer à la phase transmutation. Un mannequin déniché par petite annonce, puis une grande feuille de papier kraft, de la colle, un pinceau et en route pour le collage décoratif. Première étape : réaliser de petits morceaux de papier d’un diamètre d’environ 5 cm - en les arrachant tout simplement - et les coller un à un sur le polystyrène en faisant en sorte qu’ils se chevauchent les uns les autres. Deuxième étape : laisser sécher. Troisième étape : recommencer la première étape. Quatrième étape : recommencer la deuxième étape. Enfin, cinquième et dernier jalon : recouvrir d’un vernis d’une couleur de votre cru.
Le "moignon" d'origine d'Alphonse
Nous en sommes donc à la tête de notre Alphonse car le moignon dont il est affublé nous donne les pires allergies. Une première consultation d’un docteur ès tournage n’aboutit pas comme Merlin le souhaite. Nouvelle tentative auprès de Denys Losfeld que nous ne connaissons ni d’Eve ni d’Adam. Premier bonjour, excellent « feeling ». L’accueil, le sourire, l’œil qui pétille. Merlin lui explique le but de notre déplacement : une tête comme celle du mannequin de Delphine, puisque nous avons déjà commencé les prises de vue. Quelques explications après, le tour est jouet. Nous faisons affaire. Avec plaisir.
Il est convenu que je reviendrai le lendemain matin, dimanche 20 septembre, au Musée de Plein Air de Villeneuve d’Ascq où il officie les mercredis ainsi qu’un ou deux week-ends par mois. Et qu’il réalisera notre œuvre d’art en direct devant moi.
Un dimanche matin au musée de plein air de Villeneuve d'Ascq.
Patrimoine rural au Musée de Plein Air
Dimanche matin, superbe journée qui me permet de prendre quelques clichés ensoleillés de vestiges de notre patrimoine rural voués à la démolition, démontés et réédifiés sur le site du musée : de l’architecture traditionnelle paysanne et villageoise du XVIIème au XXème siècle de notre région Nord-Pas-de-Calais. Les lieux sont occupés quelques jours par semaine par de véritables artisans qui témoignent des savoir-faire traditionnels.
Le modèle
La nouvelle tête d'Alphonse
Denys se met au travail devant mon objectif : après avoir effectué quelques règles de trois d’après les photos de bandanas que nous avions déjà prises, il s’attelle à la tâche. Il a déjà préparé un morceau de bois à la bonne taille. Il l’installe sur son tour et les copeaux commencent à voler. Puis patiemment, il oeuvre avec différents instruments dont le nom m’échappe totalement. Progressivement, la tête d’Alphonse sort des limbes ; la naissance est proche. Denys arrache la touffe de bois qui demeurait au sommet du crâne. Un coup de polissoir et le tour est jouet. On applaudit à tant de maestria…
Le comptable se fait tourneur.
Pourtant Denys Losfeld n’est installé à son compte que depuis six ans. Comptable de formation pendant douze ans, un stage d’initiation lui révèle l’infini des possibles du tour à bois. C’est le coup de foudre et la révélation qu’il attendait : une source de motivation et de plaisir sans fin. Quand on lui demande ce qui lui fait battre le cœur dans la maîtrise de cet outil, c’est précisément cette Voie Lactée d’objets à façonner qui l’enthousiasme et lui donne envie de se lever le matin. Car un tour à bois, l’instrument qui permet de mettre en rotation un morceau de bois, n’est qu’un outil d’une relative simplicité dans sa conception et son utilisation. C’est le tourneur qui lui donne ses lettres de noblesse par son habileté et son talent.
Des créations de Denys : les Mollocks
Déjà les artisans égyptiens et romains l’utilisaient dans l’Antiquité : l’entraînement de la pièce de bois s’effectuait par l’action d’un manœuvre, tandis que le tourneur façonnait l’objet désiré. L’invention du système bielle-manivelle apporta l’autonomie à l’artisan qui, au moyen d’une pédale, actionnait la mise en rotation de l’objet en devenir. Puis la force hydraulique et enfin la force électrique nous amenèrent à l’outil tel qu’il est aujourd’hui : une machine-outil qui offre de très nombreuses possibilités de réalisation… pour qui sait l’apprivoiser.
Concernant Denys, un licenciement fort à propos l’incite à changer de voie et à embrasser celle des artisans-créateurs. A cet effet, il lui est nécessaire et utile d’obtenir son CAP d’ébénisterie. Nécessaire afin de pouvoir entrer dans la confrérie de l’artisanat français ; utile car il ne maîtrise pas encore l’utilisation des machines d’ébénisterie qui permettent la transformation des plateaux de bois brut (des « tranches » d’arbre) en pièces de bois qu’il pourra usiner.
Denys tourne aussi
à l'humour !
Le diplôme en poche, la voie est libre. Il fait construire un atelier dans son jardin et s’y installe. Tout s’enchaîne un peu à la fois jusqu’à cette belle maîtrise de son travail que vous pouvez constater dans notre vidéo clin d’œil (voir ci-dessus) tournée dans la maisonnette du musée de Plein Air. Sachant que ce n’est qu’un début : Denys s’initie à de nouvelles méthodes de travail comme désaxer la pièce de bois sur le tour pour produire des effets plus artistiques encore.
Le tour et jouets.
Ambiance ludique d'atelier
Son activité comprend à la fois des travaux en collaboration avec d’autres artisans comme des menuisiers et des ébénistes, chacun réalisant sa part de l’ouvrage. Il s’agit fréquemment de restauration de mobilier pour des commanditaires comme nous le sommes aujourd’hui : la réalisation de balustres par exemple (pieds qui soutiennent les rampes d’escalier ou balustrade) ou de pieds de table, de chaise, de tabouret. Mais le travail n’a pour limite que le besoin et le désir de la clientèle : la réalisation d’une tête de mannequin comme celle de notre Alphonse est une première pour lui !
Denys donne également libre cours dans son atelier à son imagination à travers la multiplicité des objets qu’il crée dans différentes essences de bois : stylos, toupies, champignons, bilboquets, yoyo, bouchons, coquetiers, poignées pour parchemin, porte-bagues, bijoux tels que pendentifs, boucles d’oreilles et bagues, jeux traditionnels tels que jeux de quilles, jeu de puces, toupies et Mollocks, petits personnages en bois dignes des meilleurs films d’animation.
Vous trouverez ses créations chez lui, dans des boutiques de dépôt vente et lors des nombreux événements festifs auxquels il est convié et pendant lequel il effectue toujours des démonstrations et souvent des initiations au tournage. Lors des fêtes médiévales, vous le verrez à l’oeuvre sur un tour à perche qui était le tour de l’époque médiévale et vous comprendrez comment travaillaient les artisans tourneur du XIIIème au XXème siècle… et si l’envie vous en dit, vous pourrez vous joindre à un des stages d’initiation au tournage qu’il organise régulièrement.
Vous l’avez compris : Denys Losfeld est un passionné qu’on a plaisir à faire travailler !
Vivienne
Pour contacter Denys Losfeld
