Le discours amoureux use souvent de milles stratagèmes qui l’affirment, l’appuient ou le relaient. Il recourt par exemple à l’assistance d’accessoires : les fleurs, les bijoux, les mèches de cheveux… Nous nous intéresseront bien évidemment ici aux mouchoirs. Vous me direz peut-être que les pratiques ci-dessous mentionnées ont quelque peu vieilli. Certes. Mais elles n’en restent pas moins enracinées dans notre mémoire collective.
Le mouchoir émissaire.
Le mouchoir peut être signe d’élection.
C’est ainsi qu’un sultan donnait la préférence et désignait sa favorite au sein de son harem en lui jetant son mouchoir. Importée d’Orient, cette coutume fût de manière surprenante reprise par la gent féminine occidentale qui laissait tomber son mouchoir pour, tout à la fois signifier que son cœur était à prendre et séduire l’élu de son cœur.
D’où l’expression « jeter le mouchoir » : séduire, draguer, plaire, courtiser.
Ecrasé au creux de la main, le mouchoir montre la jalousie.
Agité au moment du départ, le mouchoir promet la fidélité.
Dans tous les cas, le mouchoir marque la volonté de dévoiler l’intimité et l’intériorité.
On se souvient que dans la chartreuse de parme de Stendhal, Ludovic
« était chargé d’une mission à laquelle Fabrice mettait la plus grande importance ; il ne s’agissait de rien moins que de faire parvenir à Clélia Conté un mouchoir de soie sur lequel était imprimé un sonnet de Pétrarque. Il est vrai qu’un mot était changé à ce sonnet. Clélia le trouva sur sa table deux jours après avoir reçu les remerciements du marquis Crescenzi qui se disait le plus heureux des hommes et il n’est pas besoin de dire quelle impression cette marque d’un souvenir toujours constant produisit sur son cœur ».
Le mouchoir, signe d’engagement
Le mouchoir de fiançailles, dans la tradition portugaise est une promesse du mariage à venir.
Le mouchoir de fiancés traduit les sentiments de celle qui le fait et est offert par la jeune fille à l’élu de son cœur. Il n’est remis que quand les fiançailles sont bien consolidées, l’amour est certain et sanctionne les promesses faites, des jugements qu’il serait sacrilège et trahison de ne pas tenir. Son acceptation par le garçon signifie qu’il accepte le compromis et le montre publiquement en portant le mouchoir enroulé autour du cou, noué devant ou dans la poche de sa veste du dimanche, porté au bord du chapeau.
Il mêle déclaration secrète et déclaration publique. Il joue sur le montré-caché où se complait le discours amoureux. Le mouchoir perd alors son caractère purement utilitaire au profit de son seul aspect décoratif. Il doit être beau, fait de belles matières, décoré de dentelles ou de riches broderies.
En Angleterre, à l'époque de Charles I (1600-1649), les amants de l'aristocratie échangeaient leurs mouchoirs en guise d'appartenance réciproque.
Le mouchoir en garantie
Chez les gitans, le mariage est précédé de la cérémonie du Panuelo. Le Panuelo est un mouchoir blanc dont se sert une vieille femme pour vérifier que la jeune promise est bien vierge. Ce mouchoir, exhibé après la cérémonie et pendant le mariage, est à la fois source de stress et de fierté pour la mariée et toute sa famille.
Le mouchoir fétichiste
Le mouchoir transporte et exhale les senteurs du corps, senteurs de sueur ou senteurs de parfum et en recueille les larmes. Il dit à lui seul le désir.
Frédéric dans l’Education sentimentale de Flaubert, hume en cachette les senteurs du mouchoir de Rosanette.
Telle est aussi la valeur du Mouchoir de Cholet dans la Chanson de Botrel. La jeune fille le donne, vierge et blanc, comme geste d’amour. Elle le récupère, rouge de sang, comme présence muette d’un corps que désormais elle ne peut plus étreindre autrement.
Le mouchoir, signe de rupture.
Dans le Nœud de vipère de Mauriac, le mouchoir est au cœur du drame :
« je le pris, j’y attachai une pierre comme j’eusse fait à un chien vivant que j’aurais voulu noyer, et je le jetais dans cette mare ».
Au Portugal encore, il se trouvait au 19ième siècle des mouchoirs qui montraient l’impossibilité de réalisation de la relation amoureuse. Il s’agissait d’un objet intime et personnel destiné à être gardé par la jeune fille déçue.
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Librement inspiré des actes du colloque international « Le mouchoir dans tous ses états », Cholet 1997.
