Bien avant qu’ils ne se généralisent en tant qu’accessoires d’hygiène, les mouchoirs étaient depuis l’antiquité, un cadeau recherché et apprécié. Un objet de luxe pour les rois et les princes (on sait le prix de celui offert par Henry IV à Gabrielle d’Estrées-900 thalers- et le premier s’est empressé de le récupérer à la disparition de la seconde …). Au 17ième siècle, les « Indiennes » imprimées connaissent un engouement sans précédent et atteignent parfois des valeurs vertigineuses. Tissé, souvent finement orné de dentelles ou de broderies, offert et porté à des fins décoratives, il n’est guère surprenant que le mouchoir puisse avoir pris diverses formes: carré, rectangulaire, triangulaire ou rond.
Pour l’anecdote et proche de nous, des mouchoirs triangulaires ont encore été diffusés auprès des soldats de l’armée américaine pendant la première guerre du golfe (1990-1991) à la fois comme supports d’instruction et comme pansements.
Cependant, réalisés en tissu et donc contraints par les lignes de la chaine et de la trame, les mouchoirs ont de tout temps été essentiellement rectangulaires ou carrés. Leur taille et la symétrie de leur forme dépendant de la taille du métier à tisser, du bon vouloir du tisserand et de l’usage attendu : ‘pleuroir’, mouchoir de cou ou coiffe …
Pourtant, dès 1748, le roi louis XV s’émeut de la trop grande variabilité des qualités des toiles dites de Cholet et édicte un règlement de 85 articles dont certains consacrés aux mouchoirs :
« les mouchoirs à chaîne et à trame de fil (…) soit qu’ils soient à carreau, soit à bordure, seront fabriqués avec des fils lessivés au moins deux fois et dans les longueurs et largeurs ci-après désignées, savoir : ceux qui doivent avoir deux tiers après le blanc auront deux tiers et deux pouces au sortir du métier (…) et seront compassés de façon qu’ils forment un carré après le blanchissage, le tout à peine de confiscation et de dix livres d’amende par chaque mouchoir qui ne se trouverait pas dans les proportions ci-dessus désignées. »
Mais de tout temps, les pressions de la politique et du commerce sont ce qu’elles sont. En 1779, une lettre patente royale accorde « à tous les fabricants la liberté absolue de faire telle étoffe nouvelle et différente qu’ils jugeront à propos, pourvu qu’ils n’y mettent jamais le nom ni les marques d’une étoffe réglée … ».
Cette lettre de libéralisation crée une incertitude qualitative forte et les fraudes et malfaçons se développent. Si bien qu’en 1784, sous l’impulsion de Marie-Antoinette, une nouvelle lettre patente est registrée au parlement :
« Nous sommes informés que quoique les différents règlements, donnés pour la fabrication des mouchoirs, ordonnent expressément que la longueur desdits mouchoirs sera égale à leur largeur, la plupart des fabricants, et notamment ceux de Cholet, Vihiers et autres lieux, sont dans l’usage abusif de donner aux mouchoirs qu’ils fabriquent beaucoup plus de largeur que de longueur, sous prétexte que conformément à nos lettres patentes du 5 mai 1779, ils ont la liberté de les fabriquer dans les proportions prescrites, ou dans des combinaisons arbitraires. Nous sommes pareillement informés que ces fabricants n’ont adopté cette manière de fabriquer lesdits mouchoirs que parce que, par une manoeuvre contraire à la bonne foi, ils parviennent, lors des apprêts, à leur donner une extension qui fait disparaître cette disproportion ; mais ce n’est que momentanément, et qu’après un premier blanchissage il s’en trouve qui ont jusqu’à six pouce de plus sur la largeur que sur la longueur, et considérant qu’il y aurait le plus grand inconvénient à tolérer un genre de fabrication qui aurait pour objet de tromper le consommateur, nous avons jugé nécessaire d’y pourvoir.
A ces causes, de l’avis de notre conseil et de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale, nous avons ordonné et, par ces présentes signées de notre main, ordonnons que la longueur des mouchoirs qui se fabriquent, tant à Cholet, à Vihiers et aux environs, que dans les autres fabriques de notre royaume, sera égale à leur largeur, soit qu’ils le soient dans des combinaisons arbitraires, et ce, sous pleine de confiscation et en trois cents livres d’amende… »
C’est donc à Louis XVI que l’on doit la forme définitive des mouchoirs, à la veille du 19ième siècle qui connut son apogée.
Les euro-sceptiques seront peut-être soulagés d’apprendre que la forme des mouchoirs ne nous a pas été imposée par une obscure et tatillonne commission de Bruxelles …