Maintenant que notre vie professionnelle est largement dévolue au monde du mouchoir en tissu, nous nous devions une visite au château de Martainville, propriété de l’état, siège du musée des traditions et art normands, et surtout, abri d’une importante collection de mouchoirs imprimés par la manufacture Buquet à Rouen au 19ième siècle.
Il faut reconnaitre que dès son approche, ce château magnifiquement restauré ne manque pas d’allure. Construit par un riche armateur et commerçant de Rouen à la fin du XVIème siècle, il a rapidement perdu ses attributs initiaux de château fort au profit d’un élégant style gothique. Après une période de décrépitude, le château a été racheté par l’état en 1906, ce qui le sauve de la destruction.
Nous évoquerons peu ici la richesse des collections de mobilier, de costumes, de céramiques, de verrerie et d’objets de la vie quotidienne en Haute Normandie datés du XVIème et jusqu’au XIIème siècle. Couple oblige, nous nous sommes toutefois longuement intéressés aux lits clos. Nous n’avons pas pu essayer mais l’on imagine sans peine qu’ils permettaient de conserver à la fois un peu de chaleur et d’intimité …
Il nous faut monter au troisième étage pour découvrir l’objet principal de notre visite : les mouchoirs illustrés de l’atelier Buquet.
Que sont ces mouchoirs illustrés ?
Les mouchoirs illustrés de Rouen sont de grands carrés de tissu en coton d’une dimension d’environ 65 à 80 cm de côté. Un dessin de scène historique, humoristique, militaire, moraliste ou populaire en anime le centre, entouré de différents motifs ornementaux ou petites scènes. Leur couleur est souvent bistre avec un dessin imprimé en noir et un contour « rouge d’Andrinople », ou ocre, ou bleu. L’usage de ces mouchoirs est varié : portés en « fichu » dans le costume féminin ou en « cravate » autour du col pour les hommes.
Mais pourquoi les appelle-t-on mouchoirs alors que leurs dimensions et leur utilisation les apparente plus à des foulards ? C’est que de l’antiquité à la renaissance, le mouchoir est avant tout un objet plus précieux qu’utile. Ce n’est qu’au XVIIIème que le mouchoir perd peu à peu son caractère symbolique et décoratif pour l’usage hygiénique que l’on connait aujourd’hui. Notons au passage que nous touchons ici à la vocation de merrysquare.com : rendre aux mouchoirs leurs lettres de noblesse !
Réalisons aussi que les mouchoirs de Rouen sont imprimés. Les tissus imprimés sont si courants aujourd’hui qu’il nous est difficile d’imaginer le véritable engouement que cette technique suscita au moment de son apparition. Ce n’est en effet qu’à la fin du XVème siècle que les premières « indiennes » arrivent en Europe, en relation avec la Compagnie des Indes fondée par Colbert en 1664. Ces toiles peintes, ornées essentiellement de fleurs, introduisent dans le costume une note de couleur particulièrement appréciée. Dès lors, des manufactures se développent dans toute la France dont celles de Marseille, Rouen et Jouys-en-Josas sont les plus célèbres. A tel point que, sous l’impulsion des soieries lyonnaises effrayées par cette nouvelle concurrence, le conseil du roi publiera des dizaines d’arrêtés jusqu’en 1759 pour tenter, en vain, d’en interdire la fabrication et le commerce. Sous la restauration, les cotons imprimés se développent puis connaissent un véritable succès sous le Second Emprire et la fin du XIXème siècle. Rouen se spécialise alors dans le mouchoir illustré et des graveurs comme ceux de la famille Buquet s’en font une spécialité.
Les thèmes des mouchoirs illustrés de Rouen sont divers et nombreux. Au-delà de leur usage esthétique, ils deviennent des accessoires « multifonctionnels ».
- Expression d’une opinion. L’effigie de tel ou tel personnage permet au porteur du mouchoir d’exprimer son accord avec les idées de celui-ci.
- Propagande : il est des mouchoirs qui vantent les territoires des colonies ou les caractéristiques des navires de la flotte française.
- Information. Certains mouchoirs imprimés représentent des cartes géographiques, des plans de ville ou des réseaux de chemin de fer et revêtent ainsi un caractère utile pour se repérer.
- Education : Le mouchoir illustré bien connu, intitulé « le médecin dans la poche », propose diverses recettes pour se soigner en cas de petites blessures ou maladies.
- Décoration
- Le mouchoir imprimé est parfois épinglé au mur comme une image d’Epinal.
- Instruction militaire. Dans ce cas, le mouchoir est un manuel, un memento technique sur tissu que le soldat doit porter en permanence dans son paquetage ou autour du cou.
Techniquement, la gravure du motif central est exécutée sur plaque de cuivre tandis que l’entourage du mouchoir est imprimé à la planche de bois permettant ainsi des aplats de couleurs vives.
En Normandie, c’est en 1758, un an avant l’abrogation de l’interdiction de fabriquer et de porter des indiennes, qu’Abraham Frey installe la première manufacture d’indiennes dans la banlieue de Rouen. On peut considérer cet acte comme l’un des fondements de l’industrie rouennaise. Car de cette activité découlera l’essor des colorants et apprêts favorables au développement d’une industrie chimique. La maitrise de la qualité et des quantités de tissu nécessaires conduira aux progrès de la filature et du tissage industriel, mus par l’énergie hydraulique puis la vapeur.
L’industrie rouennaise telle que nous la connaissons aujourd’hui, articulée autour de la construction mécanique, de la chimie et de la pétrochimie est en partie redevable à ce passé textile dont le développement a été catalysé par l’indiennage, même si le volet textile a désormais quasiment disparu.
Source : Tissu d’histoire – Histoire de tissu. L’atelier Buquet, illustrateur de mouchoirs à Rouen au XIXème siècle. Musée des Traditions et Arts Normands. 1998